Autonomos et solopreneurs

Autonomos et solopreneursQuand je suis arrivé en Espagne il y a 5 ans, j’ai regardé s’il existait des lieux de rencontres pour expatriés français, mais je n’ai pas trouvé grand chose. Nous autres français sommes assez casaniers – en tout cas moi je le suis plutôt– ce qui, je sais, est assez contradictoire avec le fait de partir vivre dans un autre pays. Mais bon, toujours est-il que les expatríés français ne sont pas les rois de la scène étrangère à Madrid. 

Finalement, comme cela fait maintenant deux ans que je travaille comme ‘autonomo’ (consultant indépendant ou freelance en espagnol), je me suis dit qu’il serait profitable de rencontrer et d’échanger avec quelques uns de mes pairs. Je me suis donc inscrit sur quelques groupes de Meetup Madrid, dont un consacré aux personnes intéressées par l’entrepreunariat, dans le sens général du terme : candidats au lancement d’une startup, freelances et ‘small business’, adeptes de Lean Strategy, Business Networking et Venture Capital.

Et enfin, la semaine dernière, j’ai participé pour la première fois à un ‘Geek Lunch’, un déjeuner informel pour les membres de ce groupe, plutôt orientés technologie – quoique ce ne soit pas un pré-requis indispensable – ou en tout cas désireux d’échanger sur ces thèmes.

J’ai été complètement enchanté de cette expérience. Nous étions huit autour de la table, et je n’ai pas pu bavarder avec tout le monde, d’autant que ce lunch avait lieu dans une arrière-salle d’un petit restaurant typiquement madrilène, vite rempli par les habitués de l’endroit, agréable donc mais un peu bruyant. Je ne vais pas prétendre généraliser à partir de quelques conversations, mais j’en retire quelques enseignements.

  • Je n’ai pas demandé leur carte d’identité aux participants mais je dirais que la plupart avait entre 27 et 35 ans. J’étais manifestement le plus vieux à la table (d’au moins 15 ans). Je vois actuellement beaucoup de jeunes espagnols émigrer parce qu’ils n’arrivent pas à trouver du travail en Espagne, je trouve cela encourageant de voir que certains décident de créer leur propre activité. Sauf que …
  • … les espagnols étaient en minorité : je pense que nous étions plus de la moitié d’origine étrangère, et de toutes sortes de pays différents. La plupart des conversations ont eu lieu en anglais, même si tout le monde parlait un espagnol parfait (et souvent également une troisième langue). Certains partagent aussi leur temps entre Madrid et d’autres villes européennes, pour une activité cosmopolite et non pas centrée uniquement sur l’Espagne.
  • La majorité avait une activité freelance, qui semblait bien marcher, ainsi qu’un projet ou une idée de startup. Pour certains, il s’agissait d’une première tentative, mais les personnes avec lesquelles j’ai le plus bavardé n’en était pas à leur coup d’essai et avaient déjà une expérience de la création d’activité, majoritairement autour d’un concept de site web, B2B (à destination d’entreprises) ou B2C (à destination de particuliers). Au moins une personne avait un site opérationnel, des clients et une croissance suffisamment importante pour chercher un investisseur qui puisse accompagner sa croissance.

La moitié d’entre nous bientôt freelance

Ces caractéristiques rejoignent celles que je rencontre dans un certain nombre d’articles sur le travail freelance, dont le dernier en date : Half Of Us May Soon Be Freelancers: 6 Compelling Reasons Why.

Lorsque mon dernier job s’est (brusquement) terminé, je savais déjà que j’allais me diriger vers une activité freelance, pour une simple raison : je suis convaincu que la grande majorité d’entre nous devra créer son propre emploi. En France aujourd’hui, 25% des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage et 30% des chômeurs de longue durée (sans activité depuis plus d’1 an) ont plus de 50 ans. Les mêmes chiffre en Espagne sont respectivement de plus de 50% pour les jeunes et 70% pour les seniors.

Donc au moins un tiers (en France) ou la moitié (en Espagne) d’entre nous ne disposera pas du nombre d’années de cotisations suffisantes pour pouvoir se retirer de la vie active, et devra créer son propre emploi et se construire sa propre retraite.

Sur les 25 000 créations d’emploi recensés en Espagne au mois de juin, la moitié était le fait d’autonomos, qui ont donc créé leur propre emploi. Les statistiques aux Etats-Unis sont de 1 personne sur 3. Ce phénomène prend de l’ampleur au fil des ans, et pas seulement à cause de la crise économique actuelle.

L’article ci-dessus rejoint d’ailleurs certaines des constatations que j’ai pu faire sur l’activité de freelance :

  • Le travail est là où se trouve votre ordinateur. Si vous travaillez avec un ordinateur, alors vous pouvez travailler en remote et vous mettre à votre compte. La plupart des freelances autour de la table de notre ‘geek lunch’ avait une activité dans le haut de la courbe du graphique ‘oDesk Skills Visualization’ dans l’article cité précédemment, et donc étaient complètement représentatifs de ces statistiques.
  • « La génération Facebook est à l’aise avec Internet ». Je ne suis pas forcément d’accord avec cet argument (ma mère aussi a un compte Facebook) mais je vais le reprendre sous une autre forme : à mon époque, on développait des applications client-serveur pour des banques, aujourd’hui les freelances développent des applications pour Android. La technologie et les projets de mon époque ne permettaient pas de travailler en remote, au contraire des technologies et des projets actuels (iPhone apps, Web development, Cloud, etc.). Internet n’existait pas de mon temps.
  • Le système est économiquement avantageux pour les deux parties. Grâce à mon blog, j’ai régulièrement des propositions d’éditeurs de software étrangers. Investir dans un bureau ou une filiale en Espagne représente des coûts fixes importants pour eux, sans garantie de retour sur un investissement élevé dans un marché et un contexte économique difficile. Il est plus intéressant de transformer ces coûts fixes en coûts variables, avec un consultant indépendant sur place pour représenter cet éditeur étranger auprès d’un client ou d’un prospect, ou l’associer quand nécessaire à certaines missions d’avant-vente ou d’implémentation d’une solution logicielle. Le client ne paie que lorsqu’il a besoin du freelance – pas besoin de payer celui-ci pendant ses congès ou les périodes de moindre activité – et le freelance peut – dés lors que sa compétence est reconnue – travailler à un coût journalier acceptable pour les deux parties.

Un freelance est une startup

OK : un freelance n’est pas une startup, mais comme le précise le dernier point de l’article cité, un freelance doit penser comme une startup. Et c’est là que je vois au moins 2 problèmes.

Se financer

Que vous souhaitiez vous établir comme freelance, ou que vous ayez un projet de startup, vous aurez besoin d’argent pour démarrer. La plupart des personnes qui démarrent une activité ont, soit un premier client, soit des économies pour pouvoir tenir le temps de trouver un premier client.
Un freelance avec une idée et des compétences techniques n’a pas besoin de beaucoup d’argent pour démarrer, mais une banque ne va jamais prêter 10 000 euros à un indépendant ou quelqu’un qui veut lancer sa startup car :

  • Les banques sont frileuses de nos jours et ne prêteront qu’à quelqu’un qui peut apporter des garanties. Toujours la même rengaine : les banques ne prêtent qu’aux riches, ou plutôt ne prêtent pas à ceux qui en ont le plus besoin.
  • D’autre part, ce n’est pas en prêtant 10 000 ou 20 000 euros qu’une banque va gagner de l’argent, elle préfère prêter 200 000 ou 300 000 euros à un ménage qui veut acheter un logement.
  • Donc il faut trouver un investisseur, un business angel, quelqu’un qui adhère à votre projet, ce qui signifie savoir …

Se vendre

La première chose que l’on apprend chez un éditeur logiciel, c’est de ‘pitcher’ le produit.
Le terme ‘pitch’ vient de Hollywood. Imaginons que vous soyez scénariste et vous rencontrez Spielberg dans un ascenseur. Vous avez 5 secondes pour le convaincre de votre idée. Voici quelques exemples de pitch (je ne vous donne pas les titres des films correspondants, vous allez trouver tout de suite) :

  • Un général romain trahi par un prince corrompu voit sa famille assassinée et devient gladiateur à Rome afin de pouvoir se venger.
  • Un boxeur de troisième catégorie obtient de lutter contre le champion du monde poids-lourd dans un combat pour lequel il devra d’abord retrouver le respect de lui-même et des siens.
  • Dans une galaxie lointaine, le jeune Skywalker joint ses forces à celles d’un pilote mercenaire et de 2 droides pour se porter à la rescousse de la princesse Leia et sauver l’univers des forces maléfiques de l’Empire.

Vous pouvez remarquer que ces pitchs comportent une seule et unique phrase tournée de manière à susciter l’intérêt, généralement en présentant le héros et le défi majeur auquel il est confronté. Il existe plusieurs formes de pitch, et celui qu’on apprend chez un éditeur logiciel est le pitch de 30 secondes, à réciter par cœur car chaque mot de chaque phrase compte, et sans aucune hésitation. Vous trouverez souvent ce pitch sur la page de présentation du site web des startups.

Lors de ce déjeuner, nous avons discuté des projets de chacun et je n’ai vu personne présenter ne serait-ce que l’ébauche d’un pitch. Dans le meilleur des cas, quelqu’un a décrit le produit : ‘je développe un outil de …’ ou ‘un site web de …’. Quelqu’un a parlé de CMS et j’ai demandé ce que c’était, et tout le monde s’est tourné vers moi un peu surpris, en traduisant ‘Content Management System’.
Bon, je sais ce qu’est un Content Management System (vu que j’en utilise un pour écrire ce post), mais comme ce n’est pas mon activité principale, je pensais qu’il s’agissait de Customer Management Success, et comme cela n’était pas possible vu le contexte, j’ai cru qu’il voulait parler de SCM (Software Configuration Management).

Je sais bien que nous étions dans un Geek Lunch, et pas dans une rencontre avec des investisseurs, mais je pense que le pitch de présentation devrait être un réflexe immédiat. Et qu’il ne devrait pas comporter d’acronyme qui puisse troubler quelqu’un qui n’est pas familier avec votre activité, ce qui sera certainement le cas d’un business angel.

Une des questions également que posera très rapidement un investisseur est « Vous avez besoin de combien ? ». Je n’ai pas cherché à provoquer cette question lors de notre repas, et de toutes façons les projets n’étaient pas suffisamment avancés pour que chacun ait un business plan. Mais je pense là encore que chacun devrait avoir le réflexe d’aborder cette question à la moindre occasion, et de pouvoir justifier précisément les raisons et la destination de cet investissement.

Je suis convaincu que la plupart d’entre nous devront, tôt ou tard, se lancer dans une activité de ‘solopreneur’, et ce Geek Lunch a été fantastique pour échanger sur nos différents sujets d’intérêt. J’en suis sorti avec une motivation nouvelle.
L’obstacle principal reste selon moi la capacité à se transformer en ‘business people’ et c’est certainement sur ce point primordial que devraient porter les échanges d’idées et d’expérience entre freelances.

Sur ce, je vous laisse, il faut que je revoie le pitch de mon blog.
A bientôt.

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